95 000 kinésithérapeutes au cœur de l’Europe de la physiothérapie
300 participants se sont réunis à l’Odéon – Théâtre de l’Europe à Paris le 9 octobre 2019 (ici, toutes les photos) pour échanger sur un thème porteur de nombreux enjeux tant pour les praticiens que pour les patients : « 95 000 kinésithérapeutes au cœur de l’Europe de la physiothérapie. »
Dans son discours d’ouverture, Pascale Mathieu, présidente du Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes, a dépeint une vision nuancée de l’Europe : dispositifs Erasmus pour les étudiants, financement de projets de recherche, libre circulation d’une part ; règlementations tatillonnes, Brexit, complexité d’autre part. Pour la kinésithérapie, « la libre circulation a été pensée sans envisager vraiment les particularités des professions de santé, et sans harmoniser en premier lieu formation et champ de pratique. », mais il faut se réjouir des coopérations transfrontalières et des échanges enrichissants entre professionnels européens. Pour ces raisons, « il nous faut aimer l’Europe ».
Grand témoin : Christine Ockrent,
Christine Ockrent, écrivain et journaliste, a interpellé les participants en affirmant que « le Brexit nous rappelle que l’Europe nous est devenue indispensable. » « La construction européenne est bizarre et unique dans l’histoire. Elle s’est faite par à-coups et est imparfaite. Mais il ne faut pas en oublier pour autant les atouts » a-t-elle déclaré en indiquant que si l’Europe est imparfaite, « c’est d’abord la responsabilité de nos gouvernements ! »
Selon elle, « il y a toute sorte de secteurs qui sont encore en friche au niveau de l’Union européenne et votre profession en fait les frais. »
Quelle mobilité pour les physiothérapeutes en Europe ?
Légende photo : Catherine Palladitcheff, directrice générale des établissements « La Musse », Maria Badnarska, kinésithérapeute d’origine polonaise exerçant en libéral dans l’Eure, Rémy Gasser, président de la commission éthique et déontologie du Conseil départemental de l’ordre du Haut-Rhin, Yassine Zniber El Mouhabbis, président du conseil départemental de l’ordre des Hautes-Pyrénées, José Maria Arevalo Rendon, kinésithérapeute d’origine espagnole exerçant en France, et Jean-François Dumas, secrétaire général du Conseil national de l’ordre
La première table ronde a lancé les débats en exposant des situations concrètes issues du terrain. Des kinésithérapeutes venus d’autres pays européens pour exercer en France, des élus de conseils départementaux de l’ordre frontaliers avec l’Espagne ou l’Allemagne et une directrice d’établissement ont échangé leurs expériences respectives. Français formé en Belgique, président du conseil départemental de l’ordre des Hautes-Pyrénées, Yassine Zniber est désormais en première ligne pour appliquer les règles de la mobilité. Pour Rémy Gasser, président de la commission éthique et déontologie du Conseil départemental de l’ordre du Haut-Rhin, le département du Haut-Rhin est particulièrement confronté aux questions de mobilité puisque chaque année, de nombreux Français formés en Allemagne avec un niveau de formation inférieur aux praticiens français viennent s’installer en Alsace.
Jean-François Dumas a rappelé la nécessité de maitriser le Français pour exercer en France. « C’est une obligation pour protéger le patient et recueillir son consentement éclairé. »
Catherine Palladitcheff a expliqué que l’établissement qu’elle dirige accueille beaucoup de praticiens formés en Europe faute de candidatures de diplômés de l’Etat français. Elle a également alerté sur le très fort turn-over des salariés dans son établissements qui restent seulement 2 ans en moyenne. Jean-François Dumas a souligné que personne ne peut dire quelle est la densité « idéale » en masseurs-kinésithérapeutes pour prendre correctement en charge les patients sur notre territoire. « Lorsque notre ministère de tutelle pourra nous le dire, nous pourrons nous positionner sur la mobilité des kinésithérapeutes en Europe » a-t-il insisté.
L’Europe de la physiothérapie : diversité des modèles
Légende photo : Elena Caciulan, présidente de l’Ordre des physiothérapeutes roumains, Maciej Krawczyk, président de la Chambre des physiothérapeutes polonais, de Denise Janin, représentante des kinésithérapeutes dans l’association italienne des ordres des professions paramédicales, Guy Boudet, chef du bureau exercice, déontologie et développement professionnel continu à la Direction générale de l’offre de soins et Pascale Mathieu, présidente du Conseil national de l’ordre et d’EurHeCa
Cette deuxième table ronde a permis de comparer les modèles d’exercice et de formation des pays européens et, dans un contexte de mobilité européenne, d’évoquer le rôle des ordres pour protéger les patients. Selon Maciej Krawczyk, c’est l’encadrement de la formation des professions et de la circulation des praticiens qui leur permettra de gagner en crédibilité. Pascale Mathieu, présidente du Conseil national de l’ordre, a rappelé le rôle des autorités compétentes des professions de santé et celui d’EurHeCA, l’association européenne qui les réunit. Elle s’est réjouie de l’évolution des formations en Roumanie et en Pologne pour assurer la meilleure prise en charge des patients. La présidente du Conseil national a plaidé pour une harmonisation des formations et des compétences. Selon elle, « les relations multilatérales entre pays européens permettent de coordonner les pratiques des physiothérapeutes en Europe, notamment via une progressive harmonisation des compétences. »
Guy Boudet a décrit le rôle de l’État dans la mise en œuvre des règles européennes pour protéger les patients tout en permettant aux kinésithérapeutes de se déplacer dans l’UE. Il a expliqué les avantages d’un cadre commun de formation pour surmonter les problèmes liés aux différences de formation entre les pays. Une directive prévoit en effet « qu’un tiers des États membres doivent s’entendre sur ce cadre commun pour que la Commission européenne puisse avancer sur un tel projet. » Elena Caciulan s’est dite ravie de participer à ce colloque qui permet de comparer les compétences et les pratiques des physiothérapeutes partout en Europe pour garantir la sécurité des patients.
Denise Janin a détaillé les raisons de la création d’un ordre pluriprofessionnel en Italie et son fonctionnement. Pour elle, cette association qui réunit une grande diversité de professions de santé, avec les difficultés que cela implique, constitue également une grande opportunité pour que les kinésithérapeutes italiens puissent s’organiser au niveau national.
L’Europe de la Santé, coopérations concrètes et droits du patient
Légende photo : Rien Marinus, directrice de l’Ordre belge des pharmaciens ; Patrick Fortuit, fondateur d’EurHeCa ; Daniela Stance, élue de l’Ordre des physiothérapeutes roumains ; Heike Otterbein, du Secrétariat général des Affaires européennes, David Gorria, secrétaire général de la ER-WCPT et Nicolas Pinsault, conseiller national et membre de la commission formation de l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes. Arnaud LARANGÉ, kinésithérapeute libéral exerçant à Dunkerque est intervenu en visioconférence
David Gorria a évoqué le rôle que l’ER-WCPT, organisation dont il est le secrétaire général, peut avoir pour initier les coopérations en Europe et faire respecter les droits des patients.
Heike Otterbein a expliqué le rôle du réseau SOLVIT qui aide les citoyens à faire valoir leurs droits partout en Europe. Elle a indiqué que « pour vérifier les compétences d’un professionnel, on utilise le système d’information du marché intérieur (IMI) pour faciliter la vérification des qualifications et l’authenticité des diplômes. » Les outils mis en place en matière de coopération administrative sont faits pour favoriser la mobilité professionnelle mais constituent également des garde-fous. En visioconférence, Arnaud Larangé a décrit le cas d’un stagiaire formé dans une école à la frontière espagnole, qu’il a accueilli dans son cabinet libéral de Dunkerque. Il s’est avéré qu’il n’avait ni les compétences théoriques ni les compétences pratiques pour prendre en charge les patients.
Patrick Fortuit, fondateur d’EurHeCa a réalisé un bref historique de l’association présidée aujourd’hui par Pascale Mathieu et présenté l’utilité de la Carte professionnelle européenne (CPE) pour faciliter la mobilité des professionnels, notamment de santé, et garantissant qu’ils sont compétents.
Enfin, Daniela Stanca s’est exprimée sur le départ des professionnels roumains vers d’autres pays et s’est demandé qui allait « prendre soin d’elle dans 20 ans, 30 ans, lorsqu’elle serait âgée en Roumanie. »
Grand témoin :
la protection des données des patients en Europe
Avant la dernière table ronde, la parole a été donnée à Nesrine Benyahia, secrétaire générale du think tank Lisa Lab qui s’est exprimée sur la protection des données des patients en Europe. Elle a affirmé que « les métiers de la santé sont aussi numériques. Une coordination au niveau de l’Europe est indispensable concernant l’échange et le traitement des données mais aussi parfois dans le cas des téléconsultations dont le nombre ne va pas cesser de croitre. »
Les propositions de la profession
La dernière table ronde a été l’occasion pour les représentants des organisations professionnelles de faire valoir leurs propositions. Elle a réuni Joël Betton, président de l’UNAKAM, Pascal Gouilly, président du SNIFMK, Christophe Dinet, vice-président du CNKS, Mickaël Mulon, président du SNMKR, Daniel Paguessorhaye, président de la FFMKR, François Randazzo, président d’Alizé, Hadrien Thomas, président de la FNEK et Michel Arnal, vice-président du Conseil national de l’ordre.
La place centrale des kinésithérapeutes dans la prévention
François Sarkozy, président de FSNB Health & Care et fondateur de TousPourLaSante.Tv. Il s’est dit convaincu que les kinésithérapeutes ont un rôle déterminant à jouer non seulement en curatif, mais aussi dans le cadre de la prévention à tout âge. Ils sont bien placés pour diffuser les messages de santé publique.
La conclusion de Pascale Mathieu :
investir dans la kinésithérapie pour l’avenir des Français
En conclusion des débats, Pascale Mathieu a expliqué que « les sujets européens nous mobilisent véritablement. » Preuve en est cette journée de discussions intenses ! Elle a rappelé que l’Ordre est investi d’une mission de service public et doit appliquer les textes législatifs et réglementaires, comme la directive sur la libre circulation. Pour elle, « nous avons la chance d’avoir des européens qui viennent exercer dans nos hôpitaux, dans nos établissements, dans nos zones sous-dotées où nous, kinésithérapeutes formés en France, nous n’allons pas. »
« Le lancement de projets de recherche, dans la discipline des sciences de la rééducation et de la réadaptation vont pouvoir être déployés au niveau européen. Les projets de recherche ont des chances de recevoir des fonds quand ils sont transfrontaliers et qu’ils impliquent plusieurs pays. »
Les kinésithérapeutes doivent s’emparer de sujets nouveaux comme la promotion de la santé publique, ce que permet désormais la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, et la prévention au bénéfice du patient.
« Il faut investir dans la kinésithérapie pour l’avenir des Français » a indiqué la présidente du Conseil national, « pour allonger l’autonomie et préserver la santé des gens. Nous devons aller où on nous attend. »
Elle a alors lancé cet appel : « Convaincue que notre profession a un bel avenir, convaincue que 14 kinésithérapeutes pour 10 000 habitants ce n’est pas suffisant pour bien soigner les Français, je vous propose de porter ces messages avec moi et d’être aussi optimiste que je le suis. »