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Brûler la chandelle par les deux bouts… Et si le masseur-kinésithérapeute avait sa place dans la détection et la prise en charge du burnout ?

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Dans le cadre d’un appel à projet sur le thème « Santé mentale et kinésithérapie », lancé en 2019 par le Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes (CNOMK), un projet de recherche sur la place du kinésithérapeute dans la détection et la prise en charge du burnout a été récompensé et mené à Nancy.

Le comité de pilotage EKiPR (Études en Kinésithérapie et Projets de Recherche) de l’Institut lorrain de formation en masso-kinésithérapie est venu début mars présenter à l’Ordre des résultats probants. 

Après la création du Prix de l’Ordre en 2014, le Conseil national a renforcé son engagement dans le développement de la recherche scientifique en kinésithérapie en mettant en place chaque année, depuis 2019, un appel à projets national pour encourager des travaux innovants.

Lors de l’édition 2019 portant sur la thématique « Santé mentale et kinésithérapie », une équipe de recherche nancéenne a été retenue pour travailler sur la place du kinésithérapeute dans la détection et la prise en charge du burnout.

Séverine BUATOIS, kinésithérapeute et docteure en neurosciences, enseignante formatrice à l’institut de formation en masso-kinésithérapie (IFMK) de Nancy et kinésithérapeute au Centre de réadaptation neurologique de Lay Saint-Christophe (UGECAM Nord-Est), et Thomas CLÉMENT, kinésithérapeute et docteur en sciences de la santé-biologie moléculaire, enseignant formateur à l’IFMK de Nancy et kinésithérapeute libéral à Nancy, sont venus présenter leurs résultats à l’instance ordinale.

Un projet de recherche structuré autour de trois axes

Entre 2020 et 2025, le comité de pilotage EKiPR, également composé de Mélanie JAMBEAU enseignante formatrice à l’IFMK de Nancy et docteur en sciences de la vie-neurobiologie, a suivi et encadré six étudiants en quatrième année de l’IFMK de Nancy, qui ont réalisé leurs mémoires de fin d’études autour de ce projet. Trois axes de recherche ont été définis. Le premier consistait à réaliser une revue de la littérature sur l’efficacité des techniques de kinésithérapie dans la prise en charge et la réhabilitation des patients diagnostiqués en burnout. Le deuxième axe s’appuyait sur une enquête menée auprès de kinésithérapeutes libéraux afin de recueillir leur perception de leur rôle dans la détection du burnout chez leurs patients. Enfin, le troisième axe s’intéressait à la place du kinésithérapeute dans la prise en charge du burnout, à travers des entretiens semi-directifs avec des experts en santé mentale.

Les premiers résultats des recherches

Dès 2020, les premiers travaux ont été menés sur les axes deux et trois. Le mémoire de Mélanie PEREIRA, réalisé sous forme d’une approche quantitative, s’appuyait sur un questionnaire envoyé à une centaine de kinésithérapeutes libéraux. Vingt-neuf ont répondu, permettant d’analyser leur capacité à détecter les symptômes du burnout avec un degré de certitude variable. En parallèle, Marion FAVINI a mené une enquête qualitative en interrogeant six experts en santé mentale (deux psychologues, un ergothérapeute, une infirmière spécialisée en sophrologie et un kinésithérapeute travaillant en psychiatrie). Ces experts ont été interrogés sur leur expérience du burnout, leurs stratégies de prise en charge et leur vision du rôle du kinésithérapeute.

Les résultats de ces deux études ont été présentés aux Journées francophones de kinésithérapie (JFK) à Rennes en 2023 et ont servi de base à un troisième mémoire, réalisé par Anaëlle GEOFFROY, ainsi qu’à la rédaction d’un article publié en 2024[1] dans Kinésithérapie La Revue. Il en ressort que les kinésithérapeutes se sentent relativement à l’aise pour identifier les signes physiques du burnout (tensions musculaires, douleurs rachidiennes, céphalées), mais ont plus de difficultés à repérer les symptômes cognitifs et motivationnels.

Quant aux experts en santé mentale interrogés, aucun n’avait réellement travaillé avec un kinésithérapeute. Cependant, tous reconnaissaient l’importance de leur rôle dans la gestion du stress, la relaxation, la prise en charge des troubles musculosquelettiques et la promotion de l’activité physique. Ils insistaient également sur la nécessité d’une bonne coordination avec les médecins, psychologues et psychiatres afin d’assurer une prise en charge optimale des patients.

Le lien entre burnout et chronicisation des lombalgies

Un autre mémoire, d’Élise NICOLAS, a exploré l’impact du diagnostic de burnout sur les patients lombalgiques. Cette revue systématique a mis en évidence un risque accru de chronicisation des douleurs lombaires en présence d’un burnout, soulignant l’importance d’une détection précoce et d’une prise en charge active.

Les techniques de kinésithérapie et leur efficacité face au burnout

Alexandre KARL a pour sa part réalisé une mapping review portant sur les traitements non médicamenteux disponibles pour les patients atteints de burnout. Il a sélectionné initialement les résumés de 626 articles issus de trois bases de données, puis il a inclus et analysé les données de 311 études interventionnelles. Parmi elles, 55 traitaient spécifiquement d’interventions relevant du champ de compétences du masseur-kinésithérapeute, incluant l’activité physique, les programmes de renforcement musculaire, le yoga, le qi gong et la relaxation musculaire globale et le massage. Au total, 91% de ces études ont montré des effets positifs de ces interventions sur le burnout. Les autres études qui ont été cartographiées relevaient des domaines d’interventions suivants : psychologie (n=138), relaxation mentale (n=89), interventions sur lieu de travail (n=59), autres thérapies artistiques et non conventionnelles (n=32).

L’activité physique comme solution efficace

Quant au mémoire en cours de Maeva VIGNERON, il se focalise sur une revue systématique étudiant l’efficacité de l’activité physique dans la prise en charge du burnout. Cette étude a analysé 14 essais cliniques randomisés impliquant 1 164 participants, majoritairement des femmes de 43 ans en moyenne, issus de différents secteurs professionnels. Les programmes variaient de 4 à 12 semaines et comprenaient des activités variées, comme la marche, le vélo, le yoga ou encore des exercices fractionnés de type HIIT (Entraînement à haute intensité d’intervalle). L’analyse montre que les interventions combinant plusieurs activités présentaient les meilleurs résultats en améliorant les dimensions émotionnelles, physiques et cognitives du burnout.

Conclusion : oui, le kinésithérapeute a un rôle à jouer !

Ces travaux soulignent le rôle des kinésithérapeutes dans le parcours de soin des personnes souffrant de burnout, via leur approche bio psychosociale et au sein de l’équipe pluridisciplinaire. Une meilleure sensibilisation aux outils et aux guides disponibles leur permettrait d’optimiser leur prise en charge et de renforcer leur collaboration avec les autres professionnels de santé.

Cette sensibilisation est également essentielle pour les étudiants en formation, dont la santé mentale peut être fragile. En étant formés tôt à ces problématiques, ils pourront mieux accompagner leurs futurs patients tout en se préservant eux-mêmes en tant que soignants.

L’Ordre engagé pour la prévention des risques psychosociaux dans la profession

Pour rappel, le Conseil national a élaboré et mis en place un plan de prévention des risques psychosociaux afin de protéger la santé physique et mentale des kinésithérapeutes. Ce plan repose sur deux axes complémentaires : la prévention des risques et l’accompagnement des professionnels concernés.

Pour prévenir ces risques, l’Ordre coordonne l’action de quatorze référents régionaux chargés d’identifier les besoins en formation des kinésithérapeutes, d’actualiser l’état des lieux des risques psychosociaux et de proposer des améliorations pour la qualité de vie au travail.

Le Conseil national encourage également les organismes de formation à intégrer ces thématiques afin de permettre aux professionnels d’anticiper et de gérer ces situations. En parallèle, les Conseils départementaux et régionaux développent des actions d’information et de sensibilisation sur ces risques.

Pour accompagner les kinésithérapeutes en difficulté, une plateforme d’entraide a été mise en place. Elle comprend un numéro vert gratuit et accessible 24h/24 (0800 288 038), permettant une écoute confidentielle et une orientation vers une prise en charge médicale si nécessaire.

Un formulaire de contact permet également d’ouvrir un dossier d’entraide.

Par ailleurs, une vidéo de sensibilisation (Entraide) a été réalisée pour informer les kinésithérapeutes sur les risques psychosociaux et leur présenter les actions mises en place par l’Ordre et ses partenaires à travers des témoignages concrets.

Focus : comprendre, prévenir et prendre en charge l’épuisement professionnel

Définition

  • Le burnout est un épuisement physique, émotionnel et mental résultant d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel.
  • Il se caractérise par trois dimensions : un épuisement émotionnel (fatigue persistante), une dépersonnalisation (prise de distance, cynisme) et une perte de sens de l’accomplissement de soi au travail.

Différenciation avec la fatigue et la dépression

  • Contrairement à la fatigue, le repos ne suffit pas à récupérer.
  • Contrairement à la dépression, le burnout est spécifiquement lié au travail et s’améliore avec l’arrêt de l’exposition aux conditions professionnelles stressantes.

Prévalence

  • Population générale : 34% des Français concernés, dont 13% sévèrement (OpinionWay, 2016).
  • Milieu médical et infirmier : 49% des médecins touchés (Medscape, 2020), 67% des internes et externes (ANEMF, ISNI et Isnar-MG, 2021), 43% des infirmiers (ONI, 2020).
  • Kinésithérapeutes : 25% sont à risque élevé (Kinésithérapie, la revue, 2020), 7,6% en burnout complet, 22% à un degré sévère (CARPIMKO, 2020). Les libéraux plus touchés que les salariés.

Symptômes

  • Physiques : troubles du sommeil, tensions musculaires, douleurs rachidiennes, fatigue
  • Cognitifs : troubles de la concentration, oublis, difficulté à prendre des décisions
  • Émotionnels : irritabilité, hypersensibilité
  • Comportementaux : repli sur soi, désengagement progressif, comportements addictifs

Facteurs de risque dans les conditions de travail

  • Intensité et charge de travail
  • Exigences émotionnelles élevées
  • Manque d’autonomie
  • Mauvaise qualité des relations sociales
  • Conflits de valeurs
  • Insécurité professionnelle

Personnalités plus exposées

  • Fort engagement dans le travail
  • Instabilité émotionnelle
  • Névrosisme
  • Surengagement
  • Caractère consciencieux

Échelles de repérage

  • Maslach Burnout Inventory (MBI) : 22 items évaluant les trois dimensions du burnout
  • Copenhagen Burnout Inventory

Prise en charge

  • Arrêt de travail
  • Suivi médical coordonné par le médecin traitant
  • Prise en charge non médicamenteuse privilégiée : psychothérapie, interventions psychocorporelles, accompagnement par le médecin du travail…

Voir aussi :

[1] Brûler la chandelle par les deux bouts… Et si le masseur-kinésithérapeute avait sa place dans la détection et la prise en charge du burnout ? Regards croisés de masseurs-kinésithérapeutes libéraux et d’experts en santé mentale. Kinésithérapie La Revue ; 24 (269) : 21-28.