Affectant 2 à 3% de la population, majoritairement des femmes, la fibromyalgie reste aujourd’hui encore un syndrome mal connu et souvent mal pris en charge. Pour autant, des études et des recommandations existent pour soulager les patients. En émerge l’importance d’une réadaptation physique au sein de laquelle le kinésithérapeute a son rôle à jouer.
Qu’est ce que la fibromyalgie et ses principaux symptômes ?
Le syndrome fibromyalgique ou fibromyalgie (ces deux termes sont utilisés indifféremment dans la littérature internationale) se caractérise par des douleurs diffuses persistantes qui affectent les capacités, en les amoindrissant de manière variable selon les personnes et dans le temps.
Contrairement à ce que l’on a pu penser pendant longtemps, la fibromyalgie n’est pas à considérer comme un simple désordre psychologique.
Quoiqu’il s’agisse d’un trouble fonctionnel dont le diagnostic se fait par exclusion d’autres causes pathologiques (pathologies malignes1, myalgies2 ou troubles endocriniens et métaboliques3), on sait aujourd’hui que les symptômes de la fibromyalgie ne sont pas purement psychosomatiques.
En effet, certaines recherches montrent la présence d’une hypersensibilisation d’un neurone, liée (ou conséquente) à une diminution du taux sérique de sérotonine4 intervenant dans la modulation de la douleur. Ceci augmenterait la nociception c’est à dire le processus sensoriel à l’origine du message nerveux qui provoque la douleur. Un déficit concernant les inhibiteurs de la douleur est observé, montrant une diminution des afflux sanguins cérébraux et diminuant la transmission des inhibitions des douleurs5.
Dès lors les centres nerveux supraspinaux6 seraient à l’origine de la plupart des troubles retrouvés: diminution du seuil de perception de la douleur, troubles du sommeil, fatigue, anxiété voire dépression…
La douleur chronique est le symptôme principal de la fibromyalgie. Elle est singulière : diffuse, persistante, variable, selon le moment elle peut parfois prendre la forme d’une hyperalgésie (sensation de douleur extrême) ou d’une allodynie (douleur déclenchée par un stimulus qui est normalement indolore).
« La douleur, toujours étendue et diffuse, peut débuter au cou et aux épaules, pour s’étendre ensuite au reste du corps, notamment, au dos, au thorax, aux bras et aux jambes. Elle est permanente mais aggravée par les efforts, le froid, l’humidité, les émotions et le manque de sommeil, et s’accompagne de raideur matinale. La distinction entre douleur articulaire et musculaire est d’autant plus difficile que les patients ont l’impression d’un gonflement des zones douloureuses et de paresthésies des extrémités en l’absence de tout signe objectif d’atteinte articulaire ou neurologique »7 .
Les personnes qui ont un syndrome fibromyalgique souffrent très fréquemment de fatigue chronique et de perturbations du sommeil, mais aussi de troubles de la cognition, de perturbations émotionnelles8. Il semble que la douleur soit constante, alors que les autres symptômes peuvent être différents d’un patient à l’autre et se modifier au cours du temps.
La douleur, les troubles de la mémoire, une difficulté de concentration, des troubles attentionnels, la fatigue entraînent des difficultés dans les activités de la vie quotidienne. Des répercussions familiales et sociales, avec des difficultés à se maintenir dans l’emploi, un repli sur soi, un isolement et une qualité de vie amoindrie ont été rapportés par les patients.
Pour résumer : la fibromyalgie est une affection polymorphe qui s’exprime par :
- des douleurs musculaires ou articulaires permanentes,
- de la fatigue chronique, en particulier le matin et une fatigabilité à l’effort
- des troubles du sommeil parfois liés à un syndrome des jambes sans repos,
- des symptômes dépressifs ou des troubles anxieux,
- une incapacité à effectuer une tâche ou un exercice physique du fait de la douleur musculaire.
Ces symptômes peuvent empêcher les personnes de réaliser les exercices et entraîner une peur du mouvement (kinésiophobie), mais les études ont montré que la majorité d’entre elles sont capables de faire de l’exercice10 et c’est cette piste qui est le dorénavant exploitée et majoritairement recommandée pour les soulager.
L’exercice physique au cœur des recommandations
Si l’exercice physique adapté était déjà présent dans le rapport d’orientation de la HAS sur la fibromyalgie publié en 2010 (la Haute Autorité de Santé n’a, pour le moment, pas publié de recommandation spécifique concernant la fibromyalgie), il l’est tout particulièrement dans la révision des précédentes recommandations de l’EULAR (European League Against Rheumatism) publiée en 201611.
En 2015, des experts de l’EULAR provenant de 12 pays européens ont sélectionné 107 revues ou méta-analyses à partir de 275 articles, eux-mêmes triés à partir d’une base de plus de 2 000 publications.
À ces 107 revues ou méta-analyses, les experts de l’EULAR ont appliqué une grille d’analyse qui retenait 4 critères d’évaluation pour une éventuelle efficacité thérapeutique :
- une diminution du syndrome douloureux,
- une diminution de la fatigue chronique ressentie,
- une amélioration du sommeil,
- un diminution du handicap induit par la fibromyalgie sur la vie quotidienne.
Les experts de l’EULAR recommandent tout d’abord que chaque patient reçoive une prise en charge personnalisée et un traitement adapté aux symptômes de fibromyalgie qui lui sont propres et à ses besoins.
Ils insistent sur la nécessité d’éduquer le patient sur sa maladie dès le diagnostic. Il s’agit de bien lui expliquer ses symptômes en fonction de son degré de compréhension, son traitement, puis éventuellement l’inciter à participer à des séances d’éducation thérapeutique (en hôpital par exemple), pour qu’il intègre davantage ces données, le traitement entrepris, les adaptations éventuelles à entreprendre, renforcer la motivation, planifier l’activité physique, accroître l’autonomie, etc.
Les pratiques de type mouvement méditatif (yoga, tai chi, qi gong, etc.) sont “faiblement” approuvées par les experts de l’EULAR, mais semblent avoir un effet positif sur le sommeil, la fatigue et la qualité de vie, alors que les pratiques de relaxation purement méditatives ont, elles, un faible effet positif sur la qualité de vie et la douleur.
Idem pour l’acupuncture (qui semble améliorer douleur et fatigue) et les cures thermales (qui pourraient soulager la douleur et améliorer la qualité de vie).
Enfin, certaines pratiques alternatives ne sont pas recommandées par manque de preuves d’efficacité : biofeedback, hypnothérapie, massages, SAM-e (S-adénosyl-L-méthionine), capsaïcine, homéopathie, visualisation guidée.
Par ailleurs, la chiropraxie est fortement déconseillée pour des raisons de sécurité (“environ de 50 % des patients présentent des effets indésirables légers à modérés après une manipulation vertébrale”, précisent les auteurs après avoir analysé 13 études).
Enfin, la psychothérapie (thérapie comportementale et cognitive) ainsi que les traitements médicamenteux ne sont examinés qu’en deuxième intention et ne sont que faiblement recommandés.
Le rôle du kinésithérapeute dans la prise en charge de la fibromyalgie
Dans ce contexte où une activité physique adaptée et personnalisée, qu’il s’agisse d’exercice en aérobie ou de renforcement musculaire, est vivement recommandée, la kinésithérapie a toute sa place dans la prise en charge de la fibromyalgie. En effet, le kinésithérapeute pourra contribuer au reconditionnement physique de la personne en lui permettant d’éviter de se laisser entraîner dans le cercle vicieux d’une peur de bouger qui alimente la douleur. À travers des exercices adaptés en cabinet, l’incitation à participer à des séances de groupes où chacun pourra profiter de la dynamique du collectif ainsi que par un travail d’éducation thérapeutique, il concourra au mieux-être du patient tout en participant à son autonomie et en lui redonnant une confiance en lui parfois diminuée par la douleur et la peur que l’exercice physique puisse l’augmenter.
Il se gardera, par ailleurs, de recourir à des méthodes qui n’ont su faire preuve de leur efficacité sur le long terme, et notamment du massage qui aussi confortable puisse t-il être laisse le patient dans une dépendance vis à vis du thérapeute et une certaine passivité à l’égard de sa pathologie alors que les recommandations vont dans le sens d’une autonomisation.
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1 Cancers
2 Douleurs musculaires
3 Notamment diabète, goutte, hyperlipidémie, hypo ou hyperthyroïdie, etc.
4 La sérotonine est un neurotransmetteur, une molécule par laquelle les neurones communiquent entre eux. Elle est impliquée dans la régulation de nombreuses fonctions telles que le cycle veille-sommeil, l’ « humeur », la douleur, l’anxiété, les comportements alimentaires et sexuels, et les mécanismes d’inflammation.
5 Giesecke T. Rôle de la neuro-imagerie fonctionnelle dans la compréhension de la fibromyalgie. L’Observatoire du Mouvement 2004 ; n°12
6 Situés dans les zones profondes du cerveau
7 Académie Nationale de Médecine, Menkès CJ, Godeau P. La fibromyalgie. Rapport. Bull Acad Natle Méd 2007;191(1):143-8.
8 Wolfe F, Smythe HA, Yunus MB, Bennett RM, Bombardier C, Goldenberg DL, et al. The American College of Rheumatology 1990 criteria for the classification of fibromyalgia. Report of the multicenter criteria committee. Arthritis Rheum 1990;33(2):160-72
9 Busch AJ, Barber KA.R., Overend TJ, Peloso PMJ, Schachter CL. Exercise for treating fibromyalgia syndrome. Cochrane Database of Systematic Reviews 2007, Issue 4. Art. No.: CD003786. DOI: 10.1002/14651858.CD003786.pub2
10 https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2010-10/syndrome_fibromyalgique_de_ladulte_-_rapport_dorientation.pdf
11 Macfarlane GJ, Kronisch C, Dean LE, et al EULAR revised recommendations for the management of fibromyalgia Annals of the Rheumatic Diseases 2017;76:318-328